La CDC survivra-t-elle à ce quinquennat d’Emmanuel Macron ? Finance

, par attac87

Dans le cadre de la loi PACTE (1) , le gouvernement a fait adopter en première lecture à l’Assemblée nationale une réforme de Caisse des dépôts et des consignations (CDC)
D’autre part, depuis le début de l’année , le gouvernement a annoncé « la création d’un « pôle financier public » par le rapprochement de trois acteurs importants dont l’État est actionnaire : la Caisse des Dépôts et Consignations (CDC), la Banque postale (BP), filiale de La Poste, et la Caisse nationale de prévoyance (CNP), premier assureur français, privatisé en 1992, mais dont La Poste et la CDC sont restées actionnaires. Ce nouveau groupe financier public sera contrôlé par la CDC. »(2)
Les enjeux de ces 2 réformes sont la perte d’autonomie de la CDC et « en même temps » une étape supplémentaire dans la « privatisation » de ce groupe public . Les enjeux sont énormes « C’est peut-être la plus contestable et la plus dangereuse des privatisations qui est sur les rails. » (3)

1 Les missions de la CDC
Selon l’article L. 518-2 du Code monétaire et financier (modifié par la loi de modernisation de l’économie de 2008).« La Caisse des dépôts et consignations et ses filiales constituent un groupe public au service de l’intérêt général et du développement économique du pays. Le Groupe remplit des missions d’intérêt général en appui des politiques publiques conduites par l’État et les collectivités locales et peut exercer des activités concurrentielles. […] La Caisse des dépôts et consignations est un investisseur de long terme et contribue, dans le respect de ses intérêts patrimoniaux, au développement des entreprises. »
Dés sa création en 1816 la CDC est un établissement public chargé de missions de service public (consignation, dépôts volontaires, gestion de fonds de retraite,voir plus loin) .
Dés 1822, elle financera par des prêts le développement des infrastructures territoriales. C’est à la CDC qu’est confié le chantier de la construction des écoles chargées de dispenser l’ enseignement public gratuit et obligatoire défini par les lois Jules Ferry de 1881 et 1882. De même dans les années 60 et 70 , la CDC financera la plupart des stations de ski et des parcs de loisirs. La CDC est aujourd’hui le principal finançeur des collectivités locales.
Depuis 1837 ,elle centralise et gère les formes d’épargne « populaires » (livrets réglementés :livret A, livret d’épargne populaire, LDD, etc.)
En 1850 la CDC, se voit confier la gestion de la première Caisse des retraites pour la vieillesse (CRV) ; au fil du temps d’autres caisses de retraites seront affiliées . « Elles fusionneront en 1959 pour donner naissance à la CNP (Devenue CNP Assurances). Introduite en Bourse en 1998, CNP Assurances est aujourd’hui le premier assureur de personnes en France.En 2001, la Caisse des Dépôts se voit confier de nouveaux mandats : la gestion administrative du Fonds de réserve pour les retraites (FRR) » (4)
Dés 1908 , l’État confie à la CDC la gestion des prêts immobiliers puis plus tard le financement du logement social.
Plus généralement , elle a une mission d’intérêt général : la « consignation »(La consignation consiste à recevoir des fonds, les conserver et les restituer aux personnes bénéficiaires. (5) . Par exemple pour les fonds déposés par les particuliers chez les notaires (notamment lors des successions ou des transactions immobilières),ou pour des sommes ou des valeurs sur lesquelles subsistent des litiges ou des différends. La CDC est le « banquier du service public de la Justice »

2 Indépendance, autonomie
« Dans le panthéon romain, Fides est la déesse garante des dépôts privés. Son temple est voisin de celui de Jupiter, dieu de la guerre et du contrat. Cette symbolique confère aux dépôts un caractère sacré. Les offrandes et les dépôts placés dans le temple de Fides, sont mis sous la garde du Tribun de la Plèbe et, indirectement, sous la garantie du Sénat.La protection de Fides s’est élargie à l’ensemble des activités économiques et politiques du peuple romain, renforçant le rôle dévolu au Sénat. Cette évolution s’étend au concept de Fides qui devient fides publica : la foi publique. »(6)
Cette référence à la mythologie illustre l’absolue nécessité de créer une entité dont le fonctionnement garantisse « en même temps » le maintien des fonds placés , de leurs valeurs et de leur usage au service du bien commun pour que les citoyens aient une confiance (confiance et foi ont la même racine latine fides) en l’État, garant des biens collectifs et publics .
Ce qui signifie qu’aujourd’hui , la CDC doit protéger tous les fonds collectés (retraites publiques, , complémentaires, prévoyance, dépôts réglementés et épargne sur livret…). De qui ? « de tout risque de détournement spéculatif par les marchés financiers et de toute tentation prédatrice du gouvernement. » (7)
Pour cela , la CDC a été créée en 1816 comme établissement indépendant et autonome. « Le Parlement, représentant la Nation, exerce le contrôle de ses activités et garantit son autonomie. Il exerce cette double mission par l’intermédiaire d’une Commission de surveillance. »(6)

3 La réforme de la CDC en cours
Les fonds considérables et les différents patrimoines qui sont sous la gestion de la CDC ont toujours été l’objet de vives convoitises et les missions au service de l’intérêt général ont parfois été oubliées par la douzaine de filiales crées par la CDC (10) . Comme par exemple ,« Icade, société immobilière d’investissement, qui aurait pu jouer un rôle majeur dans l’aménagement du Grand Paris, se comporte comme un requin de la finance, ne cherchant que des opérations spéculatives, avec des rémunérations exorbitantes pour ses cadres. » (2) La financiarisation de certaines filiales s’est développée ces dernières décennies avec quelques dérives remarquables. Citons Dexia (11) né de l’alliance entre le Crédit communal de Belgique et le Crédit local de France (filiale de la CDC) qui se lancera dans la finance international , qui fourguera les fameux « prêts structurés » (qui coûteront plusieurs centaines de millions d’euros) à des collectivités locales ou à des hôpitaux publics et sa faillite qui coûtera 13 milliards d’euros au contribuable français.
Aujourd’hui le projet de loi de réforme de la CDC met à mal son autonomie.
Tout d’abord par la modification de la composition de la commission de surveillance (garante de l’indépendance de la CDC) .Les 4 représentants issus des corps de contrôle (Cour des comptes, Conseil d’État) et de la Banque de France sont remplacés par 4 personnalités « qualifiées » désignées par l’État.On voit mal avec un tel mode désignation comment ces 4 membres pourront défendre l’indépendance de la CDC. D’autant que les personnes dites « qualifiées » appartiendront certainement au monde de la finance ou chacun est souvent l’obligé de l’autre. Écoutons Julien Aubert (député « LR Les Républicains eh oui !). « Ce choix n’est donc pas anodin. Il ne s’agit pas seulement d’une mesure technique consistant à modifier quelque peu la composition d’un comité de surveillance ; c’est bel et bien le basculement d’un monde où la Caisse des dépôts est au service de l’État à un univers où la Caisse des dépôts sera un établissement financier comme les autres. Je crains que demain, faute de bras armé, l’État dans l’économie ne devienne manchot. »
Prenons 3 exemples de personnes dites « qualifiées » . Aux USA , Jim Turley,PDG du cabinet d’audit Ernst & Young, qui avait scandaleusement certifié les comptes de Lehman Brothers ( banque qui de par sa faillite est à l’origine de la crise de 2008) a été recruté dans l’équipe de Barack Obama en 2010. Donald Trump a nommé à la tête de la Securities and Exchange Commission, l’organisme de contrôle des marchés financiers : Jay Clayton ancien conseiller de la banque Goldman Sachs, elle aussi au cœur du scandale des « subprimes ». Revenons en France , à la CDC , la dernière personne nommée est Mme Joanna HISLOP .Le 25 janvier, la présidence de l’Assemblée nationale annonçait par communiqué : "Au vu des candidatures reçues, François de RUGY a choisi de désigner Mme Joanna HISLOP, administratrice indépendante ... pour sa compétence dans les domaines économique et financier et son expérience internationale". Qui est Mme Joanna HISLOP ? Ancienne de Goldman SACHS , elle est aujourd’hui "associée fondatrice" du fonds de "private equity" APERA CAPITAL, spécialiste d’opération de LBO (12), domicilié dans les paradis fiscaux de Guernesey et du Luxembourg.De telles nominations renforcent la porosité entre le secteur bancaire privé et le secteur public , favorise les risques de conflit d’intérêts et décrédibilise les fonctions et les décisions de ces « personnalités qualifiées » puisqu’elles pratiquent ou ont pratiqué professionnellement avec des principes opposés à ceux qu’ils sont censés défendre dans les commissions dans lesquelles ils siègent.
Ensuite l’autonomie de la CDC est aussi largement entamée par la modification de l’article 36 .« L’article 36 vise à clarifier les relations financières entre la CDC et l’État s’agissant des modalités de fixation du versement. La détermination de son montant continuera à donner lieu à un avis de la Commission de surveillance, qui conservera ainsi la pleine faculté de se prononcer sur le versement, avant qu’il ne soit définitivement fixé par décret. »
« Mais c’est en réalité une règle du jeu financière totalement nouvelle qui est instaurée : jusqu’à maintenant, le versement effectué par la CDC au profit du budget de l’État résultait d’un accord contractuel » (3) [entre les deux parties].Avec cette loi, Bercy pourra prendre le décret qu’il veut, et piocher dans les réserves de la CDC autant qu’il veut.Ce changement est considérable, car comme nous l’avons vu plus haut dès sa création la CDC avait été placée dès 1816 sous la protection du Parlement pour la défendre contre « toute tentation prédatrice du Gouvernement » (9)
D’ailleurs cette mesure qui est la plus grave ne figure pas dans le communiqué de presse du ministre de l’ Économie et des Finances. (13)
Enfin , dernier point controversé de la réforme : « la banalisation de la CDC »(16) . Elle ne sera plus considérée comme un établissement bancaire public puisqu’elle ne sera plus contrôlé par la Cour des Comptes mais par l’ACPR ( Autorité de contrôle prudentiel et de résolution ) qui est l’autorité qui contrôle les banques privées. Dans les attendus du projet de loi , il est indiqué à plusieurs reprises que cette réforme doit permettre de « rapprocher le fonctionnement de cet établissement des meilleurs standards en vigueur en matière de gouvernance d’entreprise »(15).Connaissant les réformes déjà mises en place par le gouvernement d’Edouard Philippe , il ne faut pas avoir beaucoup d’imagination pour se représenter ce que seront ces « meilleurs standards en vigueur » !
Cette privatisation rampante est confirmée par le licenciement d’un cadre chargé d’épauler les parlementaires dans leurs missions de contrôle et de défense de l’autonomie de la CDC (14) et la nomination d’une pléthore de nouveaux cadres qui sont soit des obligés de la finance privée parisienne ,soit des proches du président de la République . Comme l’écrit Laurent Mauduit , on se rapproche d’ »un capitalisme de la barbichette. » (3). Tout se tient et tout le monde se tient.
JPB

RÉFÉRENCES
(1) la loi Pacte est une loi présentée par le gouvernement d’Édouard Philippe pour « moderniser » l’économie. Elle contient dans ses articles 30 à 39 une Sous-section 2 qui s’intitule « Moderniser la gouvernance de la Caisse des dépôts et consignations pour améliorer ses actions en faveur des territoires » ????
(2) « Pôle financier public ou groupe capitaliste ? » Dominique Plihon Politis N° 1522 du 2018-10-10
(3) « La Caisse des dépôts happée par le capitalisme de la barbichette » Laurent Mauduit article publié le jeudi 4 octobre 2018 sur Médiapart

(4) voir la page histoire sur le site de la CDC : https://www.caissedesdepots.fr/

(5) https://consignations.caissedesdepots.fr/glossaire/C#consignation
(6) https://www.caissedesdepots.fr/les-textes-fondateurs
(7) « En douce le projet de la loi pacte programme la banalisation de la caisse des dépôts et la fin de son autonomie républicaine » CGT CDC juin 2018
(8) »Vers une inquiétante banalisation de la Caisse des dépôts » Laurent Mauduit Médiapart article publié le mardi 19 Juin 2018.
(9) Stéphane Peu député de Seine Saint Denis lors de la deuxième séance du mardi 02 octobre 2018 à l’Assemblée Nationale.
(10) https://www.caissedesdepots.fr/notre-organisation
(11) « Blanchir les legumes, blanchir l’argent » ! ATTAC limousin Mai-Juin 2016 Bimestriel - n°94
(12) LBO : « leveraged buy-out » est une pratique assez risquée de rachat d’une entreprise par des investisseurs qui empruntent à une banque et remboursent le prêt en utilisant les capital de l’entreprise rachetée.Cette pratique est à l’origine de nombreuses faillites.
(13) « La loi PACTE modernise la Caisse des dépôts et des consignations », communiqué de presse N° 750 MINISTÈRE DE L ’ÉCONOMIE ET DES FINANCES Paris, le 3 octobre 2018
(14) « J’indique que la suppression des moyens dont étaient dotés nos collègues membres de la commission de surveillance s’est accompagnée du licenciement des personnes qui étaient à leur disposition. Elles ont été licenciées pour déloyauté, pour faute, au motif qu’elles devaient être loyales au directeur général et non pas aux membres de la commission de surveillance. On marche sur la tête ! » Charles de Courson lors de l’examen de la loi Pacte
(15) Étude d’impact Projet de loi relatif à la croissance et la transformation des entreprises NOR : ECOT1810669L/Bleue-1 18 juin 2018
(16) Gasparotto jean-philippe , Secrétaire général de la CGT du groupe Caisse des dépôts article publié le 29 mai 2018 sur : https://blogs.mediapart.fr/gasparotto-jean-philippe/blog/290518/la-caisse-des-depots-lance-sa-banque-des-territoires-pourquoi-cest-inquietant