20120304 « Conflits d’intérêts et connivences médiatiques : les Économistes à gages »

, par attac87

Dans son numéro 696 de mars 2012, le mensuel Le Monde Diplomatique publie un dossier de Renaud LAMBERT, intitulé > ©« Conflits d’intérêts et connivences médiatiques : les Économistes à gages », que nous vous conseillons vivement de lire, et dont nous tirons ici quelques extraits :

« Éditoriaux, matinales radiophoniques, plateaux de télévision : en pleine campagne présidentielle, une poignée d’économistes quadrillent l’espace médiatique, et bornent celui des possibles. Présentés comme universitaires, ils incarneraient la rigueur technique, au cœur de la mêlée idéologique. Mais leurs diagnostics seraient-ils aussi crédibles si ces experts rendaient publiques leurs autres activités ?

…... Cette fois, la controverse concerne la collusion entre économistes et institutions financières. Nombre d’universitaires invités par les médias pour éclairer le débat public, mais aussi de chercheurs appointés comme conseillers par les gouvernements, sont en effet rétribués par des banques ou de grandes entreprises. Un expert peut-il, « en toute indépendance », prôner la dérégulation financière quand il occupe simultanément un poste d ’administrateur d’un fonds d’investissement ?

…... Dans Le Monde du 1er février, l’économiste Olivier PASTRÉ tempête contre les projets visant à sortir de la monnaie unique européenne. Il se fixe une mission : « expliquer aux français les plus fragiles et les plus soumis à la désinformation, quels sont les risques d’un abandon de l’euro ». Le quotidien du soir présente l’auteur comme « Professeur d’économie à l’Université Paris VIII ». Or, PASTRÉ préside aussi la banque tunisienne IMBank. Et siège aux conseils d’administration de la banque du Crédit municipal de Paris (CMP Banque), de l’Association des directeurs de banque, ainsi qu’à l’Institut Europlace de la finance. C’est pourtant le « professeur à l’université » qui intervient chaque samedi matin dans l’émission de France Culture « l’Économie en question », dont il est coproducteur..... PASTRÉ assurait, dans son article du 1er février, que, dans l’hypothèse d’une sortie de l’euro, les banques « verraient le coût de leur endettement à court terme et à long terme exploser », s’alarmant d’une éventuelle « baisse de leur rentabilité ».

…... Christian SAINT-ÉTIENNE, lui, s’affiche comme professeur au Conservatoire National des Arts et Métiers (CNAM) sur France 24, et comme analyste politique dans les colonnes du Point. Jamais comme conseiller scientifique du Conseil stratégique européen, un cabinet de conseil en gestion de patrimoine. Elie COHEN, conseiller de M. HOLLANDE, est « directeur de recherche » au Centre National de la Recherche Scientifique (CNRS), et « professeur à Sciences Po », sur France Inter ou dans Le Figaro. Jamais membre du conseil d’administration des entreprises PagesJaunes ou EDF Énergies nouvelles. Jacques MISTRAL ? Économiste dans les colonnes du Monde et sur France Culture, ou directeur des études économiques à l’Institut français des relations internationales (IFRI), dans l’émission « C dans l’air » (France 5). Pas administrateur de BNP Paribas Assurance. Daniel COHEN, conseiller de Martine AUBRY, se montre plus discret sur son titre de senior adviser de la banque LAZARD (qui conseille par exemple le gouvernement grec sur la renégociation de sa dette), que lorsqu’il s’agit de rappeler sa qualité de professeur de sciences économiques à l’École normale supérieure et à l’Université Paris I.

….... « les économistes jouissent d’un privilège que ne connaissent pas d’autres professions : on ne leur demande jamais de rendre des comptes de leurs bévues ». Ils en commettent pourtant. Le 11 août 2007, la crise des subprime vient de débuter outre-atlantique. Elie COHEN en annonce déjà la fin : « Dans quelques semaines, assure-t-il, le marché se reformera et les affaires reprendront comme auparavant » (Lemonde.fr). Six mois plus tard, sur Direct 8, Alain MINC, banquier d’affaires et conseiller de Nicolas SARKOZY, s’enthousiasme pour « l’incroyable plasticité du système » : « on nous aurait dit qu’il serait régulé avec un doigté tel qu’on éviterait une crise, qui aurait pu être quand même de l’ampleur des très grandes crises financières qu’on a connues dans le passé ! C’est tout de même un univers au fond très résilient ». Verdict ? « l’économie mondiale est plutôt bien gérée » (8 janvier 2008).

…. Journaliste à France Info, Jean LEYMARIE a reçu Jean-Hervé LORENZI les 16 décembre 2009, 24 novembre 2010 et 29 juin 2011. Connaît-il les fonctions de son invité au sein de la société Rothschild ? « Oui bien sûr ! ». Et pourtant, il ne les évoque pas à l’antenne ? « Nos auditeurs ne sont pas idiots. Ils le savent bien. ». Mais, comment le sauraient-ils, puisque ses confrères adoptent généralement la même conduite, alors même qu’ils n’ignorent rien des multiples casquettes de leurs invités ? C’est en connaissance de cause que Jean-Marc SYLVESTRE invite LORENZI pour évoquer les dangers d’une plus forte réglementation du secteur bancaire, sur LCI (24 avril 2010) ; qu’Yves CALVI donne la parole à Michel GODET et à Christian SAINT-ÉTIENNE, pour expliquer l’inéluctabilité des politiques de rigueur, dans son émission « C dans l’air », sur France 5 (9 novembre 2011)........ Est-il besoin d’écouter attentivement les réponses quand on pose de telles questions à de tels invités ?

…....Entre le 1er septembre 2008 et le 31 décembre 2011, Le Monde a cité ARTUS (responsable de la recherche pour la banque Natixis) dans 147 articles (il a également signé 4 tribunes). Plus souvent que Jacques ATTALI (132 articles) et que MINC (118). Et beaucoup plus que Jean GADREY (5 articles sur les questions économiques) et Frédéric LORDON (4). Des proportions similaires à celles que l’on observerait dans les quotidiens Libération ou Le Figaro, ainsi que dans la plupart des magazines. »

Extraits > Renaud LAMBERT / ©Le Monde Diplomatique / Mars 2012

Le lien avec le site du Monde Diplomatique > http://www.monde-diplomatique.fr/